Pouvez-vous nous parler de vous, de votre parcours au sein de la famille Rothschild et de vos activités ?
Figurez-vous que j’aurai pu faire un brillant plaideur, mais un avocat n’étant pas simplement un acteur, encore fallait-il étudier les lois ! Ma mémoire et une certaine persévérance laissant grandement à désirer, j’ai rapidement quitté la fac pour me consacrer à vendre ou acheter tout ce qu’on pouvait me proposer. J’étais assez doué pour les relations humaines, il faut bien l’avouer, ayant commencé à négocier dès l’âge de huit ans ; démarrant avec les mûres, (le fruit), qui dans la forêt communale appartenaient à tous, donc à moi-aussi, et que j’allais cueillir, non pas seulement pour les manger mais surtout pour les revendre ! C’est ainsi que sous le regard bienveillant de ma mère, (qui judicieusement me laissait aller au bout de mon idée), j’ai commencé à les mettre en barquette, lançant ma première entreprise, le temps d’un dimanche matin sur le trottoir du marché des Sables d’Olonne.
Quelques années plus tard, la fringale quotidienne de 10h allait m’inspirer ; en attendant mon tour dans la file devant la boulangerie, le temps d’une récréation gâchée, je décidais que pour le lendemain je commanderai une vingtaine de pains au chocolats afin de les revendre, entre 2 portes, dans l’enceinte même du lycée ; ce qui éviterait ainsi aux élèves de traverser la rue avec le risque de se faire renverser. (J’ai peut-être ainsi sauvé des vies, qui sait ?) Évidemment, je n’imaginais pas qu’une telle initiative exigeait au minimum une autorisation, et tous les jours à la récré du matin, me voilà revendre ce qui allait rapidement devenir 100 petits pains quotidiens, bien sûr aux élèves mais aussi aux professeurs, gourmands certes, mais médusés qu’on me laisse faire ! Le proviseur allait finalement mettre un terme à mon petit trafic au bout de quelques semaines, non sans avoir goûté, lui-aussi et en payant, à mes petits pains tout chauds !
Ensuite, j’ai continué à saisir des opportunités ici et là. L’année d’après, ma prof de Français lançant l’idée d’un journal, je me retrouvais très vite seul à en assurer l’édition. Mais la responsable de la Documentation, fournissant gracieusement les polycopiés, et parfaitement opposée à l’idée que je le revende afin de dégager des bénéfices, je dus choisir un autre partenaire, pour finir par être sponsorisé par quelques exposants du SICOB, (Salon des Industries et du Commerce de Bureau.), qui allaient m’offrir tout le papier et l’impression dont j’avais besoin, sans aucune contrepartie, si ce n’est mon sourire juvénile et mes remerciements !
Je me considère comme un opportuniste, (pour moi, rien de péjoratif en ce noble mot). Si une occasion se présente et que ça m’amuse, je suis toujours d’attaque. Tout ça provient de ma mère, qui dès mon plus jeune âge, m’a inculqué cette phrase : « Le hasard ne favorise que les esprits préparés ». J’étais donc résolu à saisir tout ce qui pouvait se présenter, sans aucune œillère, et ça m’a souvent mené à des horizons assez inattendus…
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos différents métiers ?
Pendant plusieurs années, j’ai aussi fait le disc-jockey à travers toute la France, avant de réaliser le rêve de tout passeur de disques : ouvrir sa propre discothèque. Malheureusement, cette seconde expérience se solda par un échec. Cependant, j’ai pu rebondir, en prenant la direction artistique puis carrément les clés d’un dîner-spectacle situé face au Moulin Rouge, le Carrousel de Paris, cette fois avec bien plus de succès, car entouré de collaborateurs expérimentés et loyaux.
Par la suite, ayant à nouveau besoin d’adrénaline, je changeais de cap et me lançais dans l’aventure du Music Hall, restaurant tendance situé avenue Franklin Roosevelt, (en bas des Champs Elysées). Mon idée, semble-t-il assez audacieuse pour l’époque, consistait en un restaurant d’un blanc immaculé dont les éclairages changeants permettaient au décor d’évoluer pendant tout le repas ; ce que les LED, nouvellement inventés, autorisaient dès lors. Une première mondiale, avec 16 millions de couleurs fluctuant en permanence. Mais c’était sans compter avec la réaction des clients qui, les premiers temps, ressortaient du restaurant avec l’estomac dans les talons, toutes ces couleurs mélangées se succédant bien trop rapidement ! Cette folle idée, pourtant, allait faire parler de nous à travers l’Europe entière et même au-delà, et donc me permettre de rembourser mes créanciers en un temps record, malgré le risque considérable que je leur avait fait prendre ! Car ce système d’éclairage géré par ordinateur, à lui seul, représentait le prix de tout un restaurant.
Et puis que s’est il passé ?
A faire tous les jours la même chose, on s’épuise ! Le plus délicat survient lorsque le chiffre d’affaires n’est pas à la hauteur de la pression quotidienne et des charges qui s’accumulent. Après les débuts toujours exaltants, vient le temps de la gestion au quotidien des problèmes et des obligations, rendant l’activité amer et de plus en plus contrariante. C’est précisément pour cette raison que j’ai pris la décision de stopper ce qui ne m’amusait plus, et de visiter le monde.
Après m’être bagarré avec les clients, les employés, les fournisseurs, mais aussi le marketing, le fisc, l’Urssaf, (et les avocats !), pendant près de 9 ans, je me décidais à tout vendre pour quitter la France. Ainsi, j’entrepris une tournée quasi mondiale, les pays de l’Est, l’Afrique, la Chine et les amériques, du sud, du nord et centrale… Cependant, au fil de mes découvertes, je réalisais que l’herbe est loin d’être plus verte ailleurs. Après trois ans aux Etats-Unis puis cinq ans au Canada à la recherche d’un bonheur incertain, me voilà partager mon temps entre le sud de la France et le moyen-orient. Ma vie est toujours rythmée par les déplacements, et je continuerai longtemps à voyager tel un éternel insatisfait, toujours en demande, comme le suggèrent encore certains amis psychologues !
J’aurais pourtant dû mener la vie d’un financier ; mon père réprouvant mes choix et ne rêvant de moi qu’en contrôleur du trésor ; c’était le plan. J’avais effectué des stages en ce sens, au sein de quelques banques huppées. Mais il faut bien le dire, j’étais loin d’être le plus doué de ma promotion, et de toute façon je n’aimais pas les chiffres. Dire que tout cela me rendait malheureux serait exagéré, mais il me manquait l’essentiel, c’est certain. En revanche, pour faire le pitre, l’artiste ou l’apprenti-sorcier, j’étais toujours le premier !
Pouvez-vous nous parler de vos inspirations dans le business ?
S’engager dans le monde des affaires n’est rien de plus qu’une quête de prospérité. Il convient de souligner que dans 95% des cas, j’ai subi des revers, ayant souvent parié sur les émotions. Heureusement pour moi, mes 5% restants ont fini par compenser mes pertes ; voilà pourquoi il ne faut jamais mettre tous ces oeufs dans le même panier !
De toute façon, il est impossible de toujours gagner. On fait forcément face à des impondérables. Même les individus les plus visionnaires, chanceux ou fortunés connaissent des déconvenues financières.
Quel est votre point de vue sur la responsabilité sociale de la famille Rothschild ?
Ma seule responsabilité est de ne causer de tort à personne. C’est une valeur inculquée par mes parents, une éducation et nous partageons tous ce principe.
Dans le passé, nous n’étions pas les seuls banquiers juifs ou protestants, du XIXe siècle. Alors que toutes les autres familles ont disparu, nous sommes pratiquement restés les seuls survivants. La raison en est simple : Nous avons inclus les autres dans nos projets. Contrairement à nos homologues, qui ne se servaient de leurs employés qu’au mieux de leurs intérêts, nous avons sû partager notre succès avec nos collaborateurs. Avec pour conséquence inattendue qu’au pire des changements de régime, révolutions ou guerres, et alors que nous étions dès lors en position de faiblesse, ils étaient toujours là pour nous renvoyer l’ascenseur…
Parlez-nous de votre livre, pourquoi avoir entreprit un tel ouvrage ?
J’ai rencontré un producteur de cinéma qui m’a proposé de raconter l’histoire de ma famille et de l’écrire pour une série de fiction. A l’inverse des mathématiques pour lesquelles j’ai toujours eu une aversion, les rédactions, dissertations et autres disciplines du Français, m’ont toujours réussi. Je me suis donc mis à écrire assez facilement. Mais contrairement aux historiens, tenus par des contraintes académiques, je savais ce qui passionne le lecteur. Car ce sont toujours les mêmes questions qu’on me pose depuis le plus jeune âge : Quel est donc le secret ? (D’où le titre : Le secret des Rothschild) Comment une modeste famille juive du gheto de Francfort s’était-elle élevée, en quelques décennies seulement, au rang des puissants de ce monde ? Même si j’aborde des sujets tels que la stratégie, la finance et la politique, en passant par l’antisémitisme, la guerre et même l’amour, j’ai tout fait pour que même un enfant de 10 ans puisse en comprendre l’essentiel ; mais attention : Tout ce que je raconte dans ce livre est authentique ! Pas de place pour la légende…
Rien à voir avec tout le folklore dont on nous affuble depuis près de 200 ans ! C’est d’ailleurs un peu de notre faute, il faut bien le dire : A force de vivre dans le secret et ne jamais rien laisser paraître, (Avait-on seulement le choix ? Nous sommes des banquiers après tout !), les braves gens, les journalistes et les jaloux ont fini par élaborer toutes sortes de mythes, fantasmes et utopies sur les Rothschild, toujours en vogue de nos jours !
À l’origine, mes écrits étaient donc destinés à un feuilleton, mais finalement ce fut un livre, qui mit plus d’un an à voir le jour, alors même que mon manuscrit était achevé ; tandis qu’une série tv aurait demandé au minimum six fois ce délai. Cependant, le projet de départ reste bien présent dans mon esprit et finira par se faire…
Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez été confronté au sein de la famille Rothschild et comment les avez-vous surmontés ?
Je vais vous décevoir, à aucun ! J’ai été élevé dans une sorte de discrétion, assez traumatisante d’ailleurs, ma mère refusant d’être en permanence entourée de faste et de gardes du corps ; il faut tout de même se souvenir qu’après Louis de Rothschild, kidnappé par Adolphe Hitler, David et son père Guy ont étés eux-aussi les victimes d’une prise d’otage avec demande de rançon, de la part d’un pauvre bougre, qui, accablé de dettes, avait cru pouvoir s’en sortir en les menaçant d’un fusil de chasse. Tout s’est bien terminé après un coup de feu, (qui heureusement n’abîma que le tapis !), une course poursuite dans Paris, une belle frayeur et les gros titres de la presse. Guy de Rothschild, non daigné de compassion, (la meilleure des qualités, je trouve !), retira même sa plainte au procès, permettant à l’indélicat malchanceux de rentrer chez lui sans passer par la case prison. (Ils restèrent d’ailleurs en très bons termes, n’oubliant jamais de s’adresser les bons vœux chaque année depuis ce jour !)
Mais Pour la famille, le plus compliqué, il me semble, fut de s’adapter à l’air du temps. Aujourd’hui, les armées de domestiques, symbolisées par les fameux gants blancs, ont disparu, la faute aussi à la seconde guerre mondiale. Il fallu fuir pour les plus âgés et se battre pour les plus jeunes. Au retour, nous n’avions plus qu’à rendre les clés des châteaux majestueux et demeures d’exception que nos ancêtres avaient fait construire. A titre d’exemple : Il n’y a pas si longtemps, à Ferrières, il y avait encore un employé entièrement dédié à la surveillance et au remontage de la centaine d’horloges du château !
Quels sont vos projets futurs ?
J’ai récemment contribué à une mine de sel, située au cœur du désert du Sahara. Nous produisons un sel 100% biologique, d’une pureté exceptionnelle. Mon objectif est de le rendre accessible à tous, pour l’industrie cosmétique, agroalimentaire ou pharmaceutique. Le sel est une composante essentielle de la vie, indispensable à tous les niveaux du quotidien. Un défi passionnant à relever ; et pourtant, je mange le moins salé possible !
Et depuis 6 ans, je participe à l’élaboration de mes propres vins. Sirmontagu, (du nom du cheval bien-aimé de mon enfance, qui me supportait au trot et au galop), me ravit. Et ça n’en finit pas de s’étendre, à des niveaux que je n’aurai jamais imaginés… De Bandol au départ, au Côtes du Rhône et de Provence, nous voilà rendus au Champagne, blanc de blanc, dont je suis très fier. Il y a même un Sparkling au programme pour l’année prochaine, et des appellations parfois moins connues, comme Bergerac, Lirac ou Coteau de Provence, mais qui, vous pouvez me croire, n’auront rien à envier aux domaines d’anthologie… Si je devais qualifier mes vins, je dirais qu’ils sont populaires et d’un incomparable rapport qualité-prix, entre 6€ et 12€ la bouteille. Enfin, tout n’est pas encore gagné, car l’aventure du vin s’inscrit sur le long terme ; ce qui pour moi, n’aurait pas été possible il y a encore quelques années… (www.sirmontagu.com)
En dehors de vos activités professionnelles, quelles sont vos passions et vos engagements philanthropiques ?
Tout comme la légion d’honneur, qui “ne se demande pas, ne se refuse pas et ne se porte pas”, (sic ! François Mauriac), la philanthropie ne s’expose pas ! Ou alors, bien après… Il m’arrive de soutenir des initiatives qui forcent mon admiration : Récemment, j’ai apporté mon soutien à de jeunes idéalistes souhaitant organiser un safari naturel dans le désert, tout en y laissant des infrastructures très utiles pour les bédouins…
Comme disait mon père, et son père avant lui : « Il faut se faire pardonner d’avoir reçu plus que les autres”. Les miens ont toujours été engagés dans des actions altruistes, en faisant des dons aux hôpitaux, à la recherche, à la culture, aux musées et dans le social. Nos ancêtres ont légué cet héritage philanthropique. Et il m’arrive de le faire, bien modestement, à mon tout petit niveau.
Une anecdote ?
Depuis ma tendre enfance, on m’a inculqué les valeurs de l’élégance vestimentaire, quelle que soit la situation. De nos jours, il semblerait que l’on ait tendance à négliger son apparence. Voilà qui peut pourtant jouer un rôle décisif dans la réussite de notre vie sociale, à l’instar d’une éducation soignée et d’une élocution maîtrisée. Contrariant le dicton, j’ai toujours considéré que l’habit faisait le moine ! Lorsque j’étais plus jeune, à la maison, je ne manquais jamais de revêtir ma robe de chambre, assez coquête semble-t-il, puisqu’elle suscitait fantasmes et envie chez tous mes jeunes camarades qui me rendaient visite. J’en ai donc offert à profusion, tout en m’essayant à la création de divers modèles, même s’ils n’étaient destinés qu’à l’intimité douillette du foyer. Ainsi naquit ma passion pour la couture. S’en suivirent d’autres expériences artistiques à base de lingerie, chemises, vestons, que j’imaginais, avant de les confier au savoir-faire d’une bonne amie modéliste…
Mais au fait, saviez-vous pourquoi la robe de chambre a peu à peu déserté nos armoires ? Tout simplement parce qu’avec le temps le chauffage central est apparu dans tous les foyers ! (Il n’y a pas si longtemps, on ne chauffait que les pièces principales, et encore…) Autrefois, après avoir franchi le seuil de notre demeure, afin de lutter contre la rigueur hivernale, nous revêtions notre robe de chambre, à la fois douillette et légère. Il en existait pour tous les budgets, mais toutes se devaient d’être chaudes. D’ailleurs, je constate avec une certaine consternation l’envolée incommensurable du coût de l’énergie ces derniers mois, et je me plais à penser que le retour en grâce des robes de chambre pourrait s’avérer une solution judicieuse, permettant ainsi à nos concitoyens de réaliser des économies de moins en moins substantielles.
Si vous pouviez changer quelque chose dans le monde, par quoi commenceriez-vous?
Trois vertus font souvent défaut à l’Homme : L’honnêteté, le courage et l’ouverture d’esprit. Et il est encore plus rare de les rencontrer réunies chez une seule personne ! Imaginez simplement ces trois qualités chez tout le monde, pour une civilisation proche de la perfection ; vous ne croyez pas ? Enfin, oui et non. Il n’est pas impossible qu’on s’ennuie un peu dans ce monde-là…
Elie de Rothschild jr
Livre : Le secret des Rothschild (Editions du Rocher)
SIRMONTAGU : des vins simplement incomparables | Élie de Rothschild fondateur